Votre rapport personnel avec la nature ?
Emery Jacquillat : Vital ! Laissez-moi chausser mes chaussures de marche pour me rendre sur mon sentier nature et vous répondre ! Je rythme mes journées avec des balades. La Nature permet de se retrouver, j'en ai besoin, et encore plus en ce moment où l'on est derrière nos écrans toute la journée pour enchainer les réunions en visio-conférence.
Votre geste au quotidien pour préserver la nature ?
Emery Jacquillat : J’ai abandonné ma voiture pour le vélo et la marche.
Une expérience marquante qui vous a fait prendre conscience de l’intérêt de prendre soin de la Nature?
Emery Jacquillat : On a emmené toute l’équipe de la CAMIF au refuge du Montenvers près de Chamonix : voir la mer de glace et constater de visu son retrait au cours du dernier siècle est frappant ! Cela nous fait prendre conscience de l’ampleur de la vitesse du changement climatique. Nous y avions invité 2 aventuriers extraordinaires :
Eric Loizeau, navigateur et alpiniste, qui avait fait des relevés d’eau en traversant des mers où il n'avait vu aucun plastique. A l'arrivée, les relevés ont été analysés et 100% contenaient du plastique : les nano plastiques sont invisibles mais bien présents partout dans les océans.
Laurence de la Ferrière, alpiniste, a quant à elle, effectué des relevés de glace pour rendre compte de l’évolution du climat. Leurs 2 témoignages ont mis en évidence que les changements sournois et invisibles sont les pires.
En quoi la nature est-elle une source d’inspiration pour vous, dans votre rôle de dirigeant d’entreprise ?
Emery Jacquillat : C’est une grande source d’inspiration : On prend conscience de l'interdépendance entre animal et végétal, de la fragilité des écosystèmes, de la capacité d'adaptation permanente la nature. L'entreprise aussi est un écosystème fragile, à préserver, qui nécessite un sens de l’adaptation permanent : Toutes les cellules de l'organisation doivent s’adapter, bouger, il faut prendre soin des fournisseurs, des clients, des équipes... En 2013, nous avons mis en place la Cellul'OSE (Cellule à Objet Social Etendu) qui intègre toutes les parties prenantes de l’entreprise, et qui vient la nourrir, cela montre la nécessité d’aller au-delà du profit qui n’est pas une fin en soi.
Autre exemple, je dis à mes chefs de produits de se comporter comme des exploitants forestiers avec des plans de coupe et des plans de pousse : quand on arrête un produit, on prépare le prochain. Enfin, quand je vois mon chat qui peut passer ¼ d’heure à observer une chose, cette patience m’inspire. La nature stimule notre capacité d’émerveillement.
Vos héro(ine)s concernant la préservation de la nature ?
Emery Jacquillat : La beauté des photos de Yann Arthus Bertrand m’émeut : Je me mets en action par le plaisir et l’envie de contribuer positivement, alors ceux qui arrivent à témoigner positivement me touchent beaucoup plus que les catastrophistes qui provoquent l’inaction.
Le rôle à jouer par les entreprises pour relever les grands défis environnementaux ?
Emery Jacquillat : Elles ont un rôle majeur puisqu'elles sont à la source du problème, elles sont donc aussi à la source de la solution : elles doivent réinventer des façons de faire compatibles avec la vie, qui préservent la biodiversité, dont les humains font partie.
L’association de la communauté des entreprises à mission a créé un mouvement auprès des entreprises. C’est aux entreprises de réinventer une économie plus locale, plus inclusive, plus circulaire... C’est le pari de l’amour : si on aime vivre sur Terre il faut préserver notre bien commun. Pour les entreprises, cela signifie créer de la valeur en résolvant des sujets sociaux et environnementaux.
Etes-vous plutôt optimiste ou plutôt pessimiste sur la capacité des entreprises à relever les grands enjeux environnementaux dans les années à venir ?
Emery Jacquillat : Résolument optimiste ! J’ai d’ailleurs reçu le trophée optimiste Catégorie Culture du Rebond en 2018 ! Sans la crise actuelle, nous n'aurions jamais changé car on n’aime pas le changement, c’est difficile. Les crises sont un moteur de réinvention. On prendra moins l’avion par exemple ! Alors oui, cela crée des désordres mais on voit aussi exploser certains secteurs comme les réparateurs de vélos ou la Camif qui a réalisé une croissance extraordinaire en 2020 (+ 44%), car les gens ont consommé moins et mieux, ils ont privilégié le made in France et le local.
La principale imperfection de votre entreprise concernant l’environnement ?
Emery Jacquillat : La perfection n’existe pas ! Il y a encore du plastique dans nos emballages, nous avons encore 4% du Chiffre d'Affaires provenant hors d'Europe, mais ce sera terminé fin juin 2021 ! L’important, c’est d'identifier ses imperfections et de travailler dessus.
Une transformation réalisée par votre entreprise pour produire mieux (en étant plus respectueuse de la nature) ?
Emery Jacquillat : Nous supprimons le coton conventionnel pour le remplacer par du coton bio ou recyclé, par du lin, ou d'autres matières moins demandeuses en eau, et nous ne lançons plus aucun produit contenant du coton conventionnel…C’est un travail de fond, et nous ne sommes pas au bout !
Nous transformons aussi notre métier pour passer de sélectionneur/distributeur à éditeur, car nous n'attendons pas de nos fabricants qu’ils fassent le chemin seul : alors nos chefs de projet font en sorte de faire travailler ensemble des experts pour imaginer de nouveaux modèles éco-conçus.
Une action de votre entreprise pour inciter ses consommateurs à être plus respectueux de la nature ?
Emery Jacquillat : Nous avons lancé un emballage réutilisable 100 fois sur le linge de maison : les consommateurs reçoivent une pochette zippée à renvoyer sous enveloppe T. Nous proposons aussi des tutos pour promouvoir le « fabriquer soi-même », pour inciter à réparer, pour se poser les bonnes questions avant d'acheter.
L’action engagée par votre entreprise en faveur de l'environnement, dont vous êtes le plus fier ?
Emery Jacquillat : Avoir renoncé au Black Friday ! Nous étions seuls en 2017, mais le mouvement est lancé : en 2020, plus de 1000 sites e-commerce ont fait de même. Même si cela nous prive de Chiffre d'Affaires à court terme, c’est un marqueur de notre engagement. Je suis persuadé que dans moins de 10 ans, le Black Friday sera complètement ringard !
Les bénéfices pour votre entreprise d’agir positivement pour la nature ?
Emery Jacquillat : Ils sont innombrables ! Le premier est l’engagement des collaborateurs, qui trouvent du sens de la cohérence, cela nous permet d'attirer des talents jusqu’à Niort. C’est aussi un levier de différenciation majeur, qui permet d’exister par rapport à des acteurs plus gros et plus nuisibles comme Amazon. C’est un levier d’innovation qui nous met en tension, une tension positive, car on doit se challenger en permanence.
Nous avons décidé il y a quelques années de réaliser nos entretiens annuels d’évaluation en marchant, le long de parcours balisés, sur les bords de la Sèvre. Cette idée n’a pas fait d’emblée l’unanimité mais en l’expérimentant, nous nous sommes rendu compte que la marche côte à côte et le fait de bien respirer permettent de parler mieux et d’entendre mieux, ça transforme l’entretien annuel ! Le rythme et la fréquence de la marche sont importants, et si au début on n’est pas forcément alignés, et qu'à la fin on est synchronisés, c’est qu’on a réussi à se mettre au diapason ! Nos modes de vie avec les écrans nous coupent de ce lien avec la Nature, il faut oser revenir à la nature !
Le don de la nature que vous voudriez avoir ?
Emery Jacquillat : Nous sommes la nature ! Et la particularité de notre espèce, c'est de pouvoir s’émerveiller, d'en être conscient. Je suis reconnaissant d’avoir cette capacité !
Un conseil pour encourager les entreprises à s’engager plus massivement pour la nature ?
Emery Jacquillat : Pour les gens les moins sensibles à la Nature, ceux qui n’ont pas ce sujet chevillé au corps, il faut leur parler d’argent et leur montrer en quoi préserver la nature permet aussi de préserver leur business, leur montrer ce que cela peut leur rapporter.
Un dirigeant (quelle entreprise / marque) à découvrir dans la prochaine édition de ce portrait ?
Emery Jacquillat : Quelqu’un qui a fait un chemin personnel alors qu’il n’était pas convaincu au départ. Ce sont les parcours les plus riches. Il me semble que Pascal Demurger a fait un chemin personnel très intéressant.