Votre rapport personnel avec la nature ?
Je suis un enfant de la campagne, j'ai grandi en plein air, mais j'habite aujourd'hui en ville et je passe beaucoup de temps à Paris. Je reviens à mes racines au grand air dès que je le peux car je sens que cela me manque. Je suis très sensible au bruit et il est très clair que ce n'est pas en ville que je me ressource le mieux.
Votre geste au quotidien pour préserver la nature ?
A la maison nous ne buvons plus d'eau en bouteille plastique. Nous achetons l'eau en bouteille en verre consigné, ce qui est possible et courant en Alsace, où la consignation ne s'est jamais arrêtée. Je pense d'ailleurs que c'est un mode de vente, également courant en Allemagne toute proche, qui va finir par revenir dans le quotidien des Français.
Une expérience marquante qui vous a fait prendre conscience de l’intérêt d'en prendre soin ?
Je me souviens comme si c'était hier de la grande sécheresse de l'été 1976. Enfant, cela m'avait marqué, avec une vision de champs complètement desséchés. C'est réellement avec la canicule de 2003 que j'ai eu un choc : quelque chose se dérèglait en profondeur. Nous avons de plus tous été marqués par la surmortalité de nos anciens cette année-là. Depuis, les canicules se succèdent et me rappellent chaque fois un peu plus que notre planète est en danger et que nous avons les responsabilités individuelle et collective d'agir.
En quoi la nature est-elle une source d’inspiration pour vous, dans votre rôle de dirigeant d’entreprise ?
La nature c'est la vie. La terre nous nourrit. Pendant cette crise sanitaire de la Covid-19 j'ai mesuré à quel point notre souveraineté alimentaire pouvait être en jeu. Nous avons eu la chance en France de ne pas connaître de grande pénurie alimentaire. Cela n'a pas été le cas de tous les pays en 2020, certains étant très dépendants de leurs importations alimentaires. Ce trésor français doit être préservé, ce qui passe par la réservation de notre environnement. Plus le temps passe plus la hausse des températures impacte certaines cultures. Plus le temps passe plus nous faisons face à des phénomènes extrêmes comme le gel massif de ce printemps 2021. Bref pour moi qui suis avant tout commerçant alimentaire, cela ne peut que me pousser à l'action dans ma coopérative Système U.
Vos héro(ine)s concernant la préservation de la nature ?
Mon premier héros aura incontestablement été le Commandant Cousteau. Avec ses aventures, il aura été le premier à me faire rêver et à me dire qu'il faut se battre pour préserver les beautés de la terre. Au cœur des océans et des mers du monde il en savait quelque chose. Mon héros aujourd'hui, ce serait Thomas Pesquet car, à sa façon, il nous montre les beautés de la Terre et nous encourage à les préserver. Pour tout dire, je me méfie de certains autres chantres de la lutte pour l'environnement que je trouve parfois plus médiatiques que véritables acteurs. Ce qui compte, c'est d'agir.
Le rôle à jouer par les entreprises pour relever les grands défis environnementaux ?
Ce rôle est majeur ! Les transformations sont rapides et profondes. Dans le commerce, notre responsabilité est d'autant plus forte que nous sommes au cœur de la vie des gens avec leur consommation. Donc nous sommes au cœur des changements possibles par de petits gestes : une alimentation animale d'origine France pour les animaux, un emballage avec moins de plastique, des livraisons plus écologiques, des magasins qui consomment moins d'électricité… La liste est longue, nous pouvons agir sur de nombreux plans. C'est le cas de nombreuses grandes entreprises qui ont bien une responsabilité majeure.
Etes-vous plutôt optimiste ou plutôt pessimiste sur la capacité des entreprises à relever les grands enjeux environnementaux dans les années à venir ?
Je suis de nature un optimiste de combat. Le défi est immense, il faut agir. Chaque geste compte. Là où je m'interroge, c'est quand je constate que la prise de conscience n'est pas toujours la même, qu'il peut y avoir de grands écarts de perception sur ce sujet. Faire de la pédagogie, former les collaborateurs à ces questions, se fixer des ambitions chiffrées fortes, les suivre dans le temps sont donc autant d'éléments-clés pour avancer.
La principale imperfection de votre entreprise concernant l’environnement ?
Aller vers une consommation plus responsable, moins impactante pour l'environnement, c'est pour beaucoup de gens consommer moins. Pour un commerçant nous sommes donc face à un vrai défi à relever car notre modèle historique n'est pas celui-ci. L'adaptation va donc être drastique. D'un autre côté, consommer responsable peut coûter un peu plus cher et suppose des investissements. Or dans notre activité la défense du pouvoir d'achat des clients les moins à l'aise financièrement est essentiel. Il s'agit donc d'atteindre le bon équilibre entre les engagements et l'accessibilité pour tous.
Une transformation réalisée par votre entreprise pour produire mieux (en étant plus respectueuse de la nature) ?
L'essentiel de nos produits frais libre-service à la marque U (œufs, jambon, yaourts, volaille) sont labellisés Bleu Blanc Cœur, une démarche dont Système U est membre fondateur depuis 25 ans. Elle allie bien-être animal, qualité de l'alimentation animale d'origine France et cela rejaillit sur la santé humaine des clients qui consomment ces produits. Cela suppose un travail considérable de terrain pour aider les producteurs à rentrer dans la démarche. Mais force est de constater avec le temps qu'ils en sont convaincus. Je me souviendrai toujours des paroles de cet éleveur laitier nouvellement engagé dans la démarche : "depuis que je nourris mes vaches BBC, elles se portent mieux, je n'ai plus besoin de leur donner d'antibiotiques…" Tout est dit.
Une action de votre entreprise pour inciter ses consommateurs à être plus respectueux de la nature ?
Nous essayons par tous les moyens de lutter contre le gaspillage alimentaire, en commençant par éviter de jeter les produits alimentaires dans nos magasins. De nombreux produits arrivant à date limite de consommation sont ainsi proposés à prix cassés à nos clients, qui sont nombreux à apprécier cette démarche : elle est à la fois écologique et bonne pour leur pouvoir d'achat. D'autres produits font l'objet de dons à des associations ou des agriculteurs. D'autres produits sont méthanisés pour produire de l'énergie. Mais n'oublions pas au final qu'une grande source de gaspillage se trouve dans le frigo des consommateurs…
L’action engagée par votre entreprise en faveur de l'environnement, dont vous êtes le plus fier ?
C'est une action invisible du grand public. Nous travaillons d'arrache-pied à améliorer l'indépendance protéïque de nos productions de produits frais U. Il faut savoir qu'une des plus importantes sources d'impact sur l'environnement dans l'alimentation française, c'est le fait que nous sommes très dépendants d'importations de soja d'Amérique du Sud pour nourrir les animaux. Entre la déforestation sur place, le transport et parfois la qualité, l'impact est majeur sur l'ensemble de la chaîne. En faisant progresser la production de nourriture animale directement en France, nous contribuons à réduire les impacts. Ce n'est pas très visible, c'est un travail en profondeur, mais nous sommes très ambitieux sur ce plan à horizon 2025.
Les bénéfices pour votre entreprise d’agir positivement pour la nature ?
Pour moi c'est à terme une question de survie pour toutes les entreprises ! Derrière l'actuelle crise sanitaire il y a une crise économique. Mais derrières ces deux premières crises la crise majeure et de fond pour de nombreuses années est bien la crise climatique. Une vague énorme est en train de se constituer, un peu comme quand la mer se retire avant un tsunami. Avec le temps la pression ne va cesser de croître sur les entreprises de la part de toutes les parties prenantes, clients en tête. Ils finiront par faire des choix par rapport au niveau d'engagement des entreprises. Des signes ne trompent pas : certaines banques commencent à conditionner leurs prêts aux engagements des entreprises, un tribunal a condamné le pétrolier Shell pour son engagement jugé insuffisant sur ces questions… Le vent tourne !
Le don de la nature que vous voudriez avoir ?
Avoir besoin de dormir moins pour pouvoir agir plus. Je n'ai pas ce don-là.
Un conseil pour encourager les entreprises à s’engager plus massivement pour la nature ?
Les entreprises ont maintenant une responsabilité d'accompagnement de leurs clients dans la voie d'un plus grand respect de l'environnement. A la sortie de cette crise sanitaire jamais les Français n'auront exprimé autant leur envie de consommer mieux, plus responsable, plus français, plus local. Ils peuvent faire des choses individuellement mais les entreprises doivent être force de propositions maintenant pour bouger les lignes en profondeur.
Un dirigeant (quelle entreprise / marque) à découvrir dans la prochaine édition de ce portrait ?
Thierry Marx, artiste-cuisinier touche-à-tout, pour son idée d'installer des cuisines dans des magasins ayant pour but de cuisiner en limitant le gaspillage alimentaire dans ces magasins.