Votre rapport personnel avec la nature ?
Clara Gaymard : Nous vivons dans une société qui a oublié la nature et qui s’est souvent construite contre elle. Depuis des siècles, l’Homme a voulu s’en protéger, on la détruit pour contrer ses effets et depuis 150 ans, le phénomène s’est amplifié et est devenu incontrôlé. On est aujourd’hui dans une impasse, à l’échelle globale comme individuelle. Nous devons changer notre rapport au Vivant. Désormais plus de la moitié de la population mondiale vit dans des villes ; les enfants grandissent de façon complètement déconnectée de la nature, il faut donc créer de nouveaux apprentissages.
Pour ma part, quand j’étais enfant, j’ai eu la chance que ma mère nous interdise de passer du temps à l’intérieur de la maison, sauf au moment des repas. J’ai passé tous les temps libres dehors, à inventer des jeux avec mes frères et sœurs, construire des cabanes dans des champs d’orties ou dans les arbres. Alors je m’occupais en jouant dehors et en construisant des cabanes dans les arbres. C'est vivre loin de la nature qui est pour moi contre nature, et j’aimerais sincèrement que tous les enfants du monde connaissent cela.
Gonzague de Blignières : Mon rapport personnel à la nature est en constante évolution : il est train de passer de l’ignorance à l’apprentissage. Plus j’ai le sentiment que la planète s’inquiète pour sa propre vie, plus j’ai envie d’apprendre ce que nous apprend la nature. Je l’aime de plus en plus, et j’en prends conscience chaque jour.
Votre geste au quotidien pour préserver la nature ?
Clara Gaymard : Je trie mes déchets, circule à vélo, essaie de ne pas manger de plats transformés… Avant, lorsque je faisais des randonnées, je cueillais des fleurs pour faire un bouquet. Aujourd’hui, je ne le fais plus.
Gonzague de Blignières : Je change mes habitudes et opterai bientôt par exemple pour une voiture électrique. J’investis également à titre personnel dans des projets ou associations qui préservent la nature, par exemple la fondation d’Eric Bellion, Comme un seul homme, qui œuvre à la préservation des océans.
Une expérience marquante qui vous a fait prendre conscience de l’intérêt d'en prendre soin ?
Gonzague de Blignières : Il y a 2 ans, j’ai vu au Sénégal les plages de Saint-Louis recouvertes de déchets en tout genre. J’avais l’impression de ne plus être face à une plage de sable mais une plage de plastique… Cela a été un vrai choc.
Clara Gaymard : Pour moi, Greta Thunberg a marqué un tournant. Quelques pionniers – dont Louis de Funès d’ailleurs – avaient compris depuis longtemps qu’en se construisant contre la nature, on allait dans le mur. Des générations entières ont vécu avec l’idée fausse que l’énergie était peu chère, et abondante. On a utilisé notre bonne vieille Terre, unique, comme si elle était inépuisable. C’est cette prise de conscience – qu’au-delà des actes personnels quotidiens, c’est notre société qui doit changer – qui m’a fait évoluer d’un comportement individuel plutôt écolo vers la conviction que dans la vie professionnelle aussi, il fallait agir et aller vite, et que, à partir du moment où on a un petit rôle à jouer dans la société, il fallait que la question environnementale soit au cœur de nos actions.
Il y a des films documentaires qui sont formidables, comme Legacy de Yann Arthus-Bertrand, ou La sagesse de la pieuvre (de Pippa Ehrlich et James Reed) que j’ai vu récemment, avec cette idée qu’il n’y a pas lieu de dissocier les Hommes d’un côté et la nature de l’autre, nous sommes la nature. On fait partie d’un tout, et à ignorer le tout, on va détruire notre propre vie.
En quoi la nature est-elle une source d’inspiration pour vous, dans votre rôle de dirigeant d’entreprise ?
Clara Gaymard : La nature est une source d’inspiration que l’on soit ou non entrepreneur. Avec l’essor des questions liées au biomimétisme, on se rend compte que la nature a toujours fait au mieux ce que le cerveau humain est capable de faire, et souvent celui-ci copie la nature. A 18 ans, j’ai lu un document porté au Collège de France démontrant notamment que le double escalier de Chambord était la reproduction de l’ADN, et que le cerveau humain l’avait reproduit à l’époque sans le savoir.
Gonzague de Blignières : Patricia Ricard, passionnée par le biomimétisme, montre que n’importe quel élément de la nature – une feuille, une fleur, un animal – est un système incroyablement ingénieux qui s’est fait au fil du temps. Cela fait 4 milliards et demi d’années que la nature se réinvente, s’adapte, se corrige… C’est une source d’inspiration fantastique ! L’Homme a voulu faire beaucoup trop vite ce que la nature a mis autant de temps à faire, et l’Homme peut détruire en 10 minutes ce que la nature a fait en plusieurs milliards d’années. On a beaucoup à apprendre de ce que réussit à faire la nature.
Vos héros et héroïnes concernant la préservation de la nature ?
Clara Gaymard : Ellen MacArthur, sans hésitation ! A 4 ans, elle savait qu’elle voulait être navigatrice. Elle a compris, en étant sur son bateau, qu’elle avait appris la rareté, puis elle a transformé son savoir pour créer une fondation sur l’économie circulaire – il y a déjà une dizaine d’années, donc elle a vraiment joué un rôle précurseur – le tout avec modestie, sérieux et professionnalisme.
Gonzague de Blignières : Mon héros, c’est un retraité de Plougoumelen qui a un potager exceptionnel. Pour qu’il soit le plus sain possible, il a dû le protéger des nuisances alentours en faisant notamment pousser des arbres autour. Cet homme respire la santé, la bonté, avec une connaissance parfaite de ses plantes. Je suis très sensible à ces héros anonymes qui, sans excès mais intelligemment, protègent, entretiennent, et vivent avec la nature.
Le rôle à jouer par les entreprises pour relever les grands défis environnementaux ?
Gonzague de Blignières : La finance est l’un des premiers maillons de la chaîne de l’entreprise. Elle doit être responsable, utilisée comme un outil de développement et non une fin d’enrichissement, et consciente de son rôle à jouer et de son impact sur les questions environnementales. Je pense que les entreprises financières doivent avoir une responsabilité première : convaincre les hommes et les femmes qui construisent des produits et services avec cette manne financière d’avoir un impact non négatif et le plus positif possible sur l’environnement. Qu’il s’agisse du prêteur ou de l’actionnaire, le financier et donc la finance, ne doit pas être une conséquence mais le moteur des choix industriels au niveau de l’impact sur la planète.
Clara Gaymard : Pour lutter contre réchauffement climatique et l’épuisement de la biodiversité, il y a l’innovation, et cette innovation vient des entreprises. Par exemple, tant qu’il n’y a pas de véhicules électriques, il n’y a pas de réponse à la mobilité (et se pose d’ailleurs aussi la question des sources d’énergie utilisées pour créer cette électricité). Le pouvoir est entre les mains de ceux qui savent fabriquer des alternatives (digitales, renouvelables). La technologie, l’innovation et donc les solutions viennent nécessairement des entreprises. Elles sont au cœur de la transformation de nos sociétés, vers davantage d’harmonie avec la nature.
Etes-vous plutôt optimiste ou pessimiste sur la capacité des entreprises à relever les grands enjeux environnementaux dans les années à venir ?
Clara Gaymard : Je suis nécessairement optimiste, parce que ce ne sont jamais les pessimistes qui gagnent ! J'ai confiance en la nature humaine qui, face à des enjeux qui paraissent dramatiques, a la capacité d'innovation. Je suis optimiste par nature et aussi par nécessité : quand on est entrepreneur, c'est qu'on croit qu'il y a un chemin, on n'a pas d'autre choix. L'important, c'était d'identifier le fait que c'est un problème majeur. A partir du moment où les énergies et les financements se concentrent là-dessus, il n'y a aucune raison qu'on ne trouve pas les solutions.
Gonzague de Blignières : Je suis optimiste parce que je pense que l'humain est sur Terre l'être le plus adaptable, dans les situations les plus extrêmes. Donc j'ai confiance dans le fait que l'Homme - et les entreprises qu'il créé-, prenne pleinement conscience du rôle qu'il a joué, et que les entreprises se mobilisent pour agir à leur échelle sur la question environnementale. Le mouvement est déjà enclenché.
La principale imperfection de votre entreprise concernant l’environnement ?
Clara Gaymard & Gonzague de Blignières : Il y en a malheureusement plusieurs : certains de nos collaborateurs viennent encore au bureau en voiture, on n'est pas assez paperless…
Une transformation réalisée par votre entreprise pour produire mieux (en étant plus respectueuse de la nature) ?
Clara Gaymard & Gonzague de Blignières : Nous sommes en train de construire une ferme-école de permaculture dans le sud-est de la France, dans le village de La Penne au cœur de la région niçoise. Là-bas par exemple, nous avons pris un risque en décidant d'utiliser une technologie nouvelle : nous avons fait poser des tuiles solaires sur le toit du bâtiment principal. Aussi, en créant sur le terrain des étangs naturels en utilisant seulement des eaux de pluie et de ruissellement, on pense avoir amélioré l'écosystème naturel de La Penne.
Une action de votre entreprise pour inciter ses consommateurs à être plus respectueux de la nature ?
Clara Gaymard & Gonzague de Blignières : Chaque année, nous organisons avec l'ensemble de nos collaborateurs un Citizen Day. Notre dernière action collective consistait en une opération de nettoyage des berges de Seine, au cours de laquelle nous avons tous pu nous retrouver en extérieur et joindre l'utile à l'agréable. Nous avons également conclu pour RAISE un partenariat avec la plateforme Vendredi, qui permet à chacun d'entre nous de s'engager pour la cause qui lui est chère, à titre individuel ou en équipe.
L’action engagée par votre entreprise en faveur de l'environnement, dont vous êtes le plus fier ?
Clara Gaymard & Gonzague de Blignières : En 2018, le Groupe RAISE s'est dotée d'une nouvelle activité : le fonds RAISE Impact, qui a pour mission d'investir dans des entreprises qui ont fait le choix d'avoir une contribution positive à la société et qui se sont donné pour mission d'avoir un impact bénéfique sur le plan social comme environnemental.
Les bénéfices pour votre entreprise d’agir positivement pour la nature ?
Clara Gaymard: Aujourd'hui, il serait bien difficile de recruter des personnes de talent qui n'entendent pas, également, mettre du sens dans leur vie. Ces bénéfices, c'est simplement de vivre en harmonie avec soi-même et avec la nature, et c'est là le totem de RAISE : créer une harmonie entre des choses que l'on pensait en apparence dissociées. Quand on les réconcilie, alors la performance devient bien plus grande.
Gonzague de Blignières : En adoptant dès sa création un modèle pionnier de partage de la réussite au service des entrepreneurs, RAISE a pris un engagement fondateur : celui d’œuvrer à une finance engagée et responsable. Celui, aussi, de contribuer au développement durable des acteurs qui font la croissance de notre pays, en plaçant au cœur de notre ADN les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, comme autant de leviers d’action pour encourager l’émergence d’organisations plus responsables, soucieuses des enjeux écologiques et transparentes vis-à-vis de leurs parties prenantes. Cette capacité d'action est formidablement motivante pour les équipes.
Le don de la nature que vous voudriez avoir ?
Gonzague de Blignières : J'aimerais voler comme un oiseau.
Clara Gaymard : Pouvoir renaître après chaque hiver.
Un conseil pour encourager les entreprises à s’engager plus massivement pour la nature ?
Clara Gaymard : C'est l'avenir tout simplement, il y en n'a pas d'autre, il faut en être convaincu.
Gonzague de Blignières : En s'engageant pour la nature, ces entreprises seront d'abord plus heureuses, recruteront des personnes plus impliquées et motivées et créeront aussi plus de valeur. Si elles ne s'engagent pas davantage, les nouvelles générations n'auront qui plus est aucune envie d'y travailler. Repousser l'environnement, c'est être un repoussoir pour son propre environnement !
Un dirigeant à découvrir dans la prochaine édition de ce portrait ?
Clara Gaymard & Gonzague de Blignières : Antoine Lemarchand de Nature et Découvertes, Maeva Courtois et Julia Menayas, les fondatrices d'Helios.